[Interview] – « L’artiste est avant tout un citoyen », Bil Aka Kora, (musicien)

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Réalisé le vendredi 05 décembre 2025 par une équipe de Burkina Yawana

À quelques heures de son concert prévu pour le 10 décembre dans la cour du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), l’icône de la musique kassena et figure incontournable du Djongo, Bil Aka Kora, a accordé une interview exclusive à Burkina Yawana. Il revient sur son parcours, ses inspirations, ses défis artistiques et ses projets pour l’avenir.

Burkina Yawana: Le concert du 10 décembre au SIAO semble important pour vous. Que représente-t-il ?

Bil Aka Kora : Ce concert porte une valeur symbolique forte : il se tient à la veille de la fête de l’Indépendance, un moment qui invite à célébrer la résilience et la quiétude burkinabè. L’an dernier, Hono Management avait souhaité organiser un concert à mon retour au pays, parce que beaucoup connaissent mes exigences techniques et organisationnelles. L’évènement s’est très bien passé. Cette année, nous avons voulu renouveler l’expérience avec une nouvelle vision : explorer des rythmiques kassena avec de jeunes artistes avec qui je travaille depuis presque dix ans. C’est aussi une occasion de retrouver mes fans, qui me réclament régulièrement.

BY: Vous avez un long parcours dans le live. Comment cela a-t-il influencé votre musique ?

Bil Aka Kora : J’ai commencé dans les bars, à une époque où l’on improvisait sans répétition. Cette culture du live ne m’a jamais quitté. Avec le Groupe Djongo, j’ai la chance d’être entouré d’instrumentistes qui travaillent avec moi depuis longtemps. La complicité est forte et la communion se ressent avant même d’entrer sur scène.

BY: Pouvez-vous expliquer ce qu’est le « Nagla » dans votre univers musical ?

Bil Aka Kora : Le Nagla, ce sont des fragments musicaux accompagnés d’une danse. C’est ma manière de magnifier la musique de mon terroir, en l’abordant sous un angle différent. À la base, c’est du Djongo auquel on a intégré des pas de danse Nagla modernisés. La musique kassena repose sur un rythme unique, mais chacun peut l’enrichir de son énergie, de sa puissance et de sa créativité. C’est une vraie liberté d’improvisation.

BY: Le Djongo occupe une place centrale dans votre identité musicale. Quelle est son importance ?

Bil Aka Kora : Le Djongo est une musique qui accompagne les moments forts de la vie : funérailles, mariages, baptêmes. Elle est profondément ancrée dans nos traditions. Les danseurs s’y affrontent pour séduire la gente féminine. C’est une musique vivante et compétitive.

BY: Vous avez travaillé à moderniser cette musique. Quels obstacles avez-vous rencontrés ?

Bil Aka Kora : Le plus grand défi était d’intégrer des percussions modernes comme la batterie ou la basse. Beaucoup de chanteurs kassena avaient du mal à travailler avec d’autres types de rythmes. Fusionner instruments traditionnels et modernes, tout en donnant à chacun sa place, a été un travail délicat. C’est là que se trouve l’équilibre entre Djongo traditionnel et Djongo moderne.

BY: Quand avez-vous compris que la musique serait votre métier ?

Bil Aka Kora : En 1997, lorsque j’ai remporté le premier prix à Kaya. Je venais de quitter l’université, je faisais de la musique sans imaginer qu’on pouvait en vivre. Ce prix a été comme l’obtention d’un visa symbolique. Les gens ont commencé à chanter mes morceaux et grâce à l’argent gagné, nous avons produit notre premier album, « Duatu. » C’était l’acte fondateur.

BY: Justement, « Duatu » est souvent cité comme un album décisif. Pourquoi ?

Bil Aka Kora : Parce qu’il m’a ouvert toutes les portes. Nous l’avons enregistré en 1997, mais il a fallu attendre un an pour le masteriser en France. Beaucoup de personnes m’ont aidé gratuitement, comme DESI le Sympathique qui m’a offert son studio. Un ingénieur de son français, Jean-Marie, est tombé amoureux de mon travail. Il a financé le mastering, le billet d’avion et l’hébergement. Après la distribution, plus de 24 000 exemplaires ont été vendus en six mois. Humainement et artistiquement, « Duatu » m’a tout apporté. C’est l’album de ma révélation.

BY: Quel prix vous a le plus marqué dans votre carrière ?

Bil Aka Kora : Le Grand Prix National de Kaya en 1997. C’était mon tout premier, joué en live. Je ne l’oublierai jamais.

BY: Vous avez collaboré avec Gérard, Humbert von Goisern ou encore Ray Lema. Que vous ont apporté ces rencontres ?

Bil Aka Kora : Ces collaborations étaient uniques, car chacun vient d’un univers différent. Avec Gérard l’harmoniciste ou Humbert von Goisern, musicien autrichien, il a fallu beaucoup d’ouverture. En parallèle, je suivais des formations sur la voix et la respiration, ce qui m’a aidé à m’adapter à leur langage musical. Ray Lema est comme un père artistique. Il m’a appris l’écoute, la direction artistique, comment gérer quinze musiciens sur scène, comment concevoir un son ou une image. Son influence dépasse largement la musique.

BY: Beaucoup de jeunes instrumentistes s’inspirent aujourd’hui du Djongo. Comment expliquez-vous cela ?

Bil Aka Kora : Parce que le Djongo est une école. Nous formions des guitaristes aux rythmiques Djongo, aux techniques de jeu et à la discipline. Aujourd’hui encore, beaucoup d’instrumentistes s’en inspirent dans leurs créations.

BY: Selon vous, comment la musique évolue-t-elle ?

Bil Aka Kora : Elle évolue grâce à la qualité des instruments et au traitement du son. Il n’y a pas de générations qui se valent plus que d’autres. Un jeune peut jouer mieux que moi. Ce qui distingue un artiste d’une vedette, c’est l’engagement : le message doit être sain, en lien avec l’environnement social. L’artiste est avant tout un citoyen.

BY: Comment décririez-vous votre relation avec le public ?

Bil Aka Kora : Chaque public a sa propre énergie. Quand nous arrivons sur scène, nous instaurons les codes du partage. Je m’adapte à ce qu’ils reçoivent et à ce qu’ils me renvoient.

BY: Que représente Fulu dans votre discographie ?

Bil Aka Kora : « Fulu » est un projet plus musical que thématique. Je recherchais de nouvelles harmonies, une autre touche. Le message central est simple : à force d’être trop exigeants, nous passons parfois à côté de l’essentiel.

BY: Vous travaillez sur un projet d’académie musicale. Pouvez-vous en dire plus ?

Bil Aka Kora : Nous voulons créer un cadre structuré pour enseigner la technique vocale, le chant, l’expression vocale et certains instruments traditionnels. L’idée est de transmettre aux semi-professionnels, de travailler l’écriture, l’adaptation musicale, et de collaborer avec des partenaires internationaux.

BY: Que ressentez-vous lorsque vous êtes sur scène ?

Bil Aka Kora : Dès que nous commençons à jouer, nous nous sentons vivants. La musique évolue constamment. Nous avons renforcé la percussion pour donner une signature particulière à nos prestations.

BY: Quel est votre message final pour le Burkina ?

Bil Aka Kora : Je rends hommage aux familles qui ont perdu des proches durant cette crise, ainsi qu’aux Forces de défense et de sécurité (FDS) et Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) qui se sacrifient chaque jour. Leur engagement doit nous inspirer.

‎Nous aussi devons consentir des sacrifices pour retrouver la paix. Que l’esprit du Djongo accompagne les lecteurs de Burkina Yawana.

André Yameogo, stagiaire 


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Une réponse à « [Interview] – « L’artiste est avant tout un citoyen », Bil Aka Kora, (musicien) »

  1. Avatar de Bil Aka Kora enflamme le SIAO pour son concert inédit ! – Burkina Yawana

    […] de Ouagadougou (SIAO) a vibré dans la soirée du mercredi 10 décembre 2025. À l’affiche : Bil Aka Kora, figure incontournable de la musique burkinabè, venu « reconnecter » avec son public à travers un concert […]

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